Dialogue avec un prêtre

Pourquoi la « veillée de prière »? Pourquoi cette chaîne de la prière?

Depuis que je suis rentré dans l’Église, une des pensées qui me travaillaient beaucoup était: comment accomplir la parole chargée de sens de Saint Apôtre Paul : « Priez sans cesse », (Th 5 :17). Parce qu’on ne nous a pas ordonné de jeûner ou de veiller ou de travailler sans relâche – mais l’Esprit Saint, par la prière du Saint Apôtre, nous a ordonné à prier sans cesse. Et il faut donc souligner qu’il ne s’agit pas d’une recommandation, comme le remarquait Père Julian, le père confesseur des Pères roumains du Mont Athos, mais d’un commandement divin, que tous ceux qui portent le Nom du Christ doivent avoir en vue et mettre en œuvre, chacun selon ses propres forces.

On peut dire que ces préceptes étaient valables dans les temps anciens, où les chrétiens croyaient de manière absolue en la vérité et dans la puissance de la parole de l’Évangile de Jésus Christ. Mais accomplir ce commandement n’était pas plus facile à cette époque-là qu'il ne l’est aujourd’hui: car comment peut-on prier incessamment en tenant en compte qu’il faut travailler, manger et surtout, dormir? Ainsi, les Saints Pères ont essayé par leur propre vie (pour qu’après, ils puissent conseiller) de donner les réponses les plus importantes en ce qui concerne notre union avec Christ.

Ainsi, certains d’entre eux nous ont appris comment dire la prière de Jésus sans cesse (ou d’autres prières courtes de son genre), prière qui peut descendre au cœur et se dire d’elle-même aussi pendant le sommeil ou au moment de n’importe quelle autre activité.

D’autres, comme ceux du monastère des « acémètes » (« ceux qui ne dorment jamais », en grec) s’organisaient les uns après les autres – des groupes de moines qui se succédaient à l' église pour faire la prière de telle manière qu’elle ne cesse jamais dans la communauté.

Mais l’attitude générale de l’Église par rapport à la possibilité d’accomplir ce commandement est que celui qui prie sans cesse unit la prière au travail, et le travail à la prière. Autrement dit, il faut cultiver un état de prière dans le cœur, une conscience de se trouver incessamment devant la Face de Dieu, indifféremment du lieu où l’on se trouve.

D’où est-elle partie cette idée de la « veillée de prière »?

Dès la naissance de notre communauté, une des idées de base a été celle de prier les uns pour les autres, de nous rapprocher les uns des autres, pour accomplir l’appel de Christ au Jardin de Gethsémani « pour que tous soient un seul » (Jean 17:21). Tout est parti de la prière d’unité de Père Sophrony d’Essex. J’ai proposé aux frères et aux sœurs de nous « rassembler » dans une seule pensée, chaque soir, aux environ de onze heures du soir, chez soi. Nous essayons de dire cette prière (où chacun rappelait dans la prière les noms des autres frères et sœurs de la paroisse) après quoi chacun, selon ses possibilités, faisait la prière de Jésus et la prière à la Mère de Dieu.

Peu après cette période, j’ai proposé cette « veillée de prière », qui a été reçue avec beaucoup d’enthousiasme par les frères de la paroisse, enthousiasme qui, avec l’aide de Dieu, s’est transformé en un état d’esprit. Et lequel, par la miséricorde de Dieu, il s’accroît d’un mois à l’autre, en accroissant aussi l’Esprit Saint qu’on reçoit.  

Mais comment a-t-il été possible de suivre le conseil des Saints Pères de prier sans cesse en ces temps, lorsque notre pensée s’éparpille si facilement à travers les décisions que nous devons prendre, en plusieurs informations et soucis, de nos jours lorsque, objectivement parlant, le temps dédié à la prière dans la journée a presque complètement disparu?

On se pose quand même cette question lorsqu’on sait pertinemment que le commandement de l’Évangile est aussi actuel aujourd’hui comme aux premiers siècles chrétiens. Tous les Pères de l’Église, tant ceux du passé, que ceux contemporains, nous conseillent à accomplir ce commandement, en cherchant les modalités les plus propices à notre situation du monde où on vit.

Personnellement, j’ai trouvé une possible réponse chez les confesseurs de la foi des prisons communistes. Ces confesseurs, en passant par les pires conditions que l’on puisse traverser (réclusion pour des années entières, stress psychique, les tortures, le froid, le manque des conditions les plus élémentaires d’hygiène et de vie) ont réussi à allumer la chandelle de la prière et la tenir allumée pendant toutes les nuits de leurs détention, parfois jusqu’à leur libération.

J’ai lu qu’immédiatement après que les lumières soient éteintes (à 22 heures), l’un des prisonniers commençait à dire les prières; lorsqu’il était fatigué, il réveillait un autre à ses côtés, et ainsi de suite. Et lorsque le dernier de la chambrée finissait la prière, il tapait dans le mur de la cellule voisine jusqu’à ce qu’on lui réponde et confirme que la prière était reprise par l’autre cellule. Cette prière les a soutenus en prison et leur a donné la force non seulement de garder leur santé psychique, mais aussi à sortir de prison illuminés de l’intérieur et  survivre miraculeusement à la plupart de leurs tortionnaires.   

Si l’on écoute bien les paroles prophétiques de Ioan Ianolide, l’un des confesseurs chrétiens des prisons communistes, le monde où l’on vit actuellement ressemble bien à une prison. Une prison plus difficile à vivre que celle par laquelle ils sont passés eux, nous annonce le « détenu prophète », parce que maintenant très peu sont conscients du totalitarisme idéologique et le mode de vie antichristique qui, peu à peu, s’empare du monde entier. L’Esprit du monde est au pouvoir maintenant, et le gardien des cellules dans lesquelles nous sommes enfermés, ce sont nos passions, cultivées et nourries par la société de toutes les débauches, la « société de consommation ».

Là, dans les prisons, les tortionnaires luttaient par tous les moyens pour pousser les prisonniers à apostasier, renoncer Christ. Dans notre monde, de nos jours, le renoncement se fait de manière volontaire, les jeunes étant séduits  pour embrasser un mode de vie complètement contraire à la vie en Christ. Dans les prisons, les tortionnaires luttaient pour enlever toute possibilité aux prisonniers de se retirer dans leur intimité – à présent les hommes ont renoncé à leur propre intimité en faveur de la télévision, de l’internet ou de n’importe quel moyen qui leur vole l’identité et la tranquillité et la possibilité d’être seuls avec Christ. Les tortionnaires faisaient tout leur possible pour séparer les prisonniers de leurs propres familles, pour les décourager et ainsi mieux les maîtriser. Maintenant, le divorce est devenu une mode.

En tenant compte de la ressemblance terrible entre le caractère antichristique des prisons communistes et de celui de la « prison » de la société médiatique et de consommation, nous avons pensé que cette œuvre, la « veillée de prière » pourrait nous aider nous aussi à survivre en tant que famille, en tant que communauté et en tant que peuple chrétienne dans les temps qu’on vit.

Concrètement, qu’est-ce que cette œuvre de la veillée de prière? Comment s’accomplit-elle?

Concrètement, en commençant de 22 heures jusqu’à 7 heures du matin,  une heure à la fois, un membre de la communauté à tour de rôle, prie pendant une heure (bien entendu, chacun chez soi) tout comme il veut, surtout avec la prière de Jésus : « Seigneur, Jésus Christ, aie pitié de moi!», avec des psaumes, des prières de l’Église ou celles de son propre cœur. Il prit pour soi, sa famille en Christ, pour ceux dont il sait qu’ils souffrent de manière grave ou chronique (ceux qui souffrent de leur manque de foi, qui se trouvent en maladies, en pauvreté, etc.) pour ceux qui l'ont blessé ou qu’il a blessés, ainsi de suite. Chacun, comme il et et comme il le sent, peut s’assurer seulement que la prière ne cessera pas le long de la nuit. Lorsque l’un finit son heure de prière et on va se coucher, un autre se réveille et veille à ce qu’elle ne s’éteigne, ne pas rompre la chaîne de la prière.     

Si un groupe d’hommes d’une paroisse ou plusieurs fils spirituels d’un Père spirituel désiraient organiser eux aussi une veillée de  prière, qu’est-ce qu’ils devraient faire?

Premièrement, ils devraient demander la bénédiction de leur père spirituel, lui demander qu’il s’en charge par sa prière de la bonne suite de la « Veillée». Ensuite, chacun peut s’organiser en fonction des conditions dans lesquelles il vit.

Dans notre paroisse, par exemple, j’ai personnellement attribué un numéro (peut être aussi le nom d’un saint) à chacun de ceux qui m’ont confirmé qu’ils pourront devenir des « veilleurs de la chandelle de la prière ». De cette manière, nous sommes à l’abri de la tentation de gloire déserte (ceux qui prient beaucoup) ou du jugement du prochain (ceux qui s’inscrivent initialement mais ensuite ne s’inscrivent plus).  Une fois attribué un numéro, je ne regarde plus le tableau initial, pour être à l’abri de toute pensée de jugement et pour que chacun puisse se rapporter à la « veillée de prière » de manière complètement libre, pour que tout soit entre sa conscience et Dieu.

Ensuite, vers la fin de chaque mois, j’envoie par courriel à tous ceux qui sont inscrits, un tableau avec les nuits du mois suivant (pour ceux qui n’ont pas le courrier électronique, ils peuvent faire appel à quelqu’un qui en a un pour les aider). Ensuite, j’ai demandé à ce que chacun veille à s’auto évaluer et penser quand il pourrait prier (en fonction des possibilités et de son programme – en fonction du programme des enfants, des autres soucis, etc.) et ensuite qu’ils inscrivent le numéro attribué dans les intervalles où il pourrait prier.     

  Pour les heures plus faciles (entre 22 heures et minuit ou entre 6 et 7 du matin) j’ai proposé aux frères de notre communauté que ce serait bien de ne pas nous précipiter dès le début du mois pour toutes ces heures. Et cela puisqu’il y a entre nous des frères qui ont des nuits plus difficiles (avec les enfants malades, par exemple, des déplacements) où des frères qui traversent des périodes d’épuisement prolongé et qui seraient contents de prendre néanmoins part à cette œuvre bénie de la « veillée de prière » au moins à des heures plus accessibles. Il serait merveilleux de nous disputer les heures du milieu de la nuit en accomplissant ainsi la parole de l’Apôtre : « Sachez-le, celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème abondamment moissonnera abondamment. Que chacun donne comme il l'a résolu en son cœur, sans tristesse ni contrainte; car Dieu aime celui qui donne avec joie. » (2 Corinthiens 9, 6-7). Par le seul fait de nous sacrifier, nous recevons de l’insufflation divine pour continuer la lutte pour notre salut.

Qu’est-ce qui se passe si je m’inscris dans le tableau et je ne réussis pas prier à l’heure établie?

S’il y a des accidents comme les maladies (les siennes ou celles d'un membre de la famille), des voyages, l’impossibilité de nous réveiller survenue par la trop grande fatigue ou d’autres situations, ce n’est pas très grave. Dieu nous juge premièrement d’après nos intentions et nos attitudes et ensuite selon nos actes. Il ne s’agit pas d’un engagement « à vie et à mort », mais d’un appel à responsabilité. Par exemple, lorsqu’une femme enfante, ou quelqu’un est malade ou trop fatigué et omet son tour, il n’y a pas de mal. S’il est sincère et que le motif est sérieux, je suis certain que son Ange prendra la relève et fera la prière à sa place. Et si je suis averti à temps, je peux demander à quelqu’un dont je sais qu’il est plus disponible de prendre le relais.

Qui pourrait penser comme ça: « Je vais à l’Église les dimanches et en jours de fête, je prie le matin et le soir, je lis le Psautier… pour quoi j’aurais besoin de la «veillée de prière »? Qu’est-ce que j’en gagnerais? »

J’ai la conviction que l’œuvre de la « veillée de prière» pourrait nous apporter beaucoup de profit et de soutien spirituel pour les temps où on vit, sur plusieurs plans. Premièrement, sur un plan personnel, chacun de nous a un grand besoin de prière et des vigiles. Nous avons tous entendu plusieurs fois les paroles de Dieu qui nous conseille à veiller, nous efforcer pour plus d’effort spirituel, prier plus. En plus, selon l’Apôtre Paul, il faut racheter le temps « car les jours sont mauvais » (Éphésiens 5, 16). A quel moment ces paroles ont-elles été plus actuelles qu'aujourd'hui?

Ensuite, la « Veillée de prière » nous offre la possibilité de sortir de notre égoïsme et de notre solitude (dans l'Évangile on lit de cette même façon: « malheur à celui qui est seul » et le Seigneur dit: « Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux ».  Mathieu 18, 20.).

En plus, tous les Saints Pères contemporains recommandent chaleureusement la prière nocturne. Par exemple, Saint Païssios du Mont Athos disait que, « tout comme la pluie de nuit est meilleure pour la terre, de la même manière la prière de nuit est plus profitable pour l’âme ». L'Ancien Joseph l'Hésychaste, ensemble avec sa communauté, ne manquait la véillée, les vigiles de nuit; toutes les services se faisaient pendant la nuit.

L'Archimandrite Emillianos nous avertit sans cesse, dans tous ses livres, de chercher surtout à nous engager dans la prière de nuit.

Car pour cette prière il faut nous contraindre un peu, mais seulement de cette manière, nous le dit le Seigneur, nous pouvons acquérir le royaume des Cieux (« le royaume des cieux est forcé, et ce sont les violents qui s'en emparent », Mathieu 11, 12). La « veillée de prière  » peut ainsi devenir un bon témoin que dans notre relation avec Christ nous cherchons plus, en ne pas se contentant seulement des prières de matin et de soir, qui souvent revêtent un aspect formel. Tout comme nous dit Jésus : « Car, je vous le dis, si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. » (Mathieu 5 :20).

En plus, tous ceux qui ont « goûté » à la prière de nuit savent qu’elle apporte le jour suivant un certain éveil de la pensée, différent des autres jours. Deuxièmement, une telle œuvre aide beaucoup aussi au niveau de la paroisse ou de la communauté dont on fait partie. Cette prière apporte, à travers le temps, un grand rapprochement entre ceux qu’y participent, une sorte d’attachement spirituel. C’est aussi un sacrifice pour chacun d’entre nous, mais la grâce, lorsque quelqu’un prie, se transmet à toute la communauté. De même, la prière de chacun de nous pour les autres est le moyen le plus important pour nous rapprocher des frères et des sœurs d’une paroisse/communauté. J’ai pu voir plusieurs fois les efforts de certains paroissiens ou prêtres de mettre des communautés ensemble mais, malheureusement, les modalités choisies tenait du monde: des barbecues, des bals, etc., et les résultats sont aussi assez modestes.    

Le vénérable Père Sophrony d’Essex nous recommande de toujours prier les uns pour les autres, ainsi que de porter dans les cœurs nos frères spirituels, en insistant sur le fait qu’ensemble nous devenons plus puissants en Esprit Saint et en esprit. Car, comme disait l’ancien staretz de Maldon, lorsque deux ou plusieurs personnes s’unissent dans ce but spirituel, la puissance de chacun est multipliée à l’infini. Et, pas en dernier plan, une telle prière commune aurait aussi des suites dans le plan universel.

Quelqu’un me racontait une histoire avec le grand père confesseur l’ancien Denis de Colciu (de Mont Athos). Un père confesseur demandait si de nos jours il n’était pas préférable d’alléger un peu la règle de prière de ses fils spirituels. Père Denis a répondu : « sûrement, les temps sont difficiles; maintenant, nous vivons le huitième millénaire, le millénaire de tout le mal; mais il ne faut pas désespérer, il faut se réveiller la nuit pour la prière, car seulement comme cela Dieu nous aidera à passer ces temps ». De ce fait, précisément dans ces temps-là il faut multiplier la prière, pas seulement pour nous et nos familles, mais aussi pour les autres, pour le monde entier (selon le modèle de Saint Silouane l’Athonite qui priait beaucoup, en disant : « Seigneur, Jésus Christ, Fils de Dieu, ait pitié de nous et de Ton monde »). Que Dieu nous aide!